Revue de Presse: 19 avril

19 April 2020

La présente pandémie n’est pas une crise pour l’Inde—au contraire, elle représente trois crises distinctes mais interconnectées, selon Mathieu Ferry, Govindan Venkatasubramanian, Isabelle Guérin et Marine Al Dahdah. D’abord, la crise sanitaire : les ressources publiques (ventilateurs, lits d’hôpitaux, etc.) sont insuffisantes pour faire face aux obstacles, alors que le traitement privé est hors de portée de tous excepté les plus riches. En deuxième lieu, le confinement a mis une fin aux emprunts, source critique d’argent liquide pour la majorité de la population. En troisième lieu, face à cette pénurie d’espèces et aux pertes d’emploi, beaucoup ne mourront pas du coronavirus, mais de faim. L’aide promise par le gouvernement est simplement insuffisante à cet égard.

 

Comment l’Union européenne a-t-elle pu se tromper à ce point sur la réponse au coronavirus ? C’est la question à laquelle répond Scott Greer dans le New York Times. Pour Greer, expert de santé publique, il n’y a pas de système européen de santé au sens strict : les traités constitutionnels prévoient que l’action sanitaire soit dirigée principalement par les États membres. Sans pouvoir coordonner un programme commun de dépistage, de partage d’informations, et de procuration des biens essentiels, l’Europe n’aura pas les moyens de sortir de cette crise sanitaire, et de préparer la prochaine.

 

Suite à la crise sanitaire, il faudra faire face à une crise économique dévastatrice. Il est essentiel de développer une solution générale qui fait preuve avant tout de solidarité, écrivent David Kretz (contributeur pour Tocqueville 21), Henriikka Hannula, Ofra Klein, Max Lobeck et Paulus Wagner pour le blog EUProgressivePlatform. En effet, la souffrance économique d’un pays ne sera pas contenue par ses frontières ; agir en bloc est dans l’intérêt commun. Avec une solution visionnaire, le projet européen pourrait être infiniment renforcé. Mais certains pays se montrent peu disposés à agir de cette manière. S’ils ne font pas bientôt volte-face, ce moment pourrait signifier la fin de la communauté européenne.

 

The Code of Capital, par Katharina Pistor, est pour Arthur Silve et Armand Terrien un « traité d’alchimie », qui explique les transmutations du capital contemporaines par le droit et des juristes. Les mécanismes sophistiqués du capitalisme contemporain (e.g. les dérivés) ne peuvent exister que grâce à l’ingénuité des avocats qui écrivent les contrats et qui créent les structures d’arbitration privée. Le monde de la finance réussit à créer de nouvelles pratiques à une telle rapidité que les législatures et les juges n’ont souvent aucun choix que de les accepter comme des faits accomplis. Et bien que cette ingénuité juridique est la spécialité des avocats du common law, cela n’empêche pas que l’alchimie capitaliste s’opère dans les pays civistes comme la France. Ainsi est-ce que « Capital et État opèrent bien souvent par symbiose. »

 

Dans le magazine Dissent, Michael Walzer réfléchit à ce que cela veut dire de décrire un concept comme étant « libéral ». Au lieu de se concentrer sur le « libéralisme», en tant que nom commun ou idéologie politique, il nous attire l’attention sur le mot « libéral » en tant qu’adjectif—par exemple lorsque nous parlons de « nationalisme libéral », de « socialisme libéral » ou de « sionisme libéral ». En tant qu’adjectif, « libéral » agit en tant que contrainte sur le nom qu’il modifie, et Walzer pense que la politique contemporaine aurait besoin de plus de langage de contrainte.

 

« Je suis un libéral, qui pense que le libéralisme n’a pas servi la cause de la liberté. » C’est le propos de l’économiste et ancien ministre grec Yanis Varoufakis, dans un entretien avec le Brown Journal of PPE. Mais en tant que marxiste libéral, comme il se décrit dans ce même texte, Varoufakis explique que le problème central du libéralisme économique contemporaine est l’exploitation plutôt que l’inégalité. Cette dernière n’est pour Varoufakis qu’une condition qui permet aux forts d’exploiter les faibles.

 

Dans le New Rambler, Noah Rosenblum publie une recension de deux livres sur la tradition parlementaire, par William Selinger et Gregory Conti (lire notre forum sur le livre de Selinger ici, avec une discussion du livre de Conti à suivre cette année). Pour Rosenblum, l’intérêt de ces deux auteurs sur l’institution du parlement a des implications profondes pour l’histoire des idées et la démocratie au sens large. D’abord, l’histoire que racontent Selinger et Conti implique une réévaluation des auteurs classiques, tels Montesquieu (dont l’idée de la « séparation des pouvoirs » avait été rejetés par les Anglais du XVIIIe, adhérents de la théorie de la souveraineté du Parlement) ou Mill (dont les idées de tolérance étaient plus conventionnelles à son époque que l’on n’a tendance à croire aujourd’hui). Mais plus important, leur portrait de la richesse des institutions, et des cultures institutionnelles, sert à compliquer un discours simpliste contemporain du « déclin de la démocratie ».

 

Photo Credit: Adli Wahid, via Unsplash.

 

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